La Grève des Zombis : Quand les Morts Réclament leurs Droits
L’histoire de la condition ouvrière est jalonnée de luttes, de sacrifices et d’exploits. Mais à Mòn-Badèt, petit village reculé des montagnes haïtiennes, une lutte inédite allait bouleverser les rapports de force entre dominants et dominés : celle des zombis exploités, réduits à un état de servitude posthume.

Depuis des générations, les houngans de la région avaient établi un ordre social où la main-d’œuvre la plus docile, la plus endurante, et surtout la moins coûteuse était constituée de ces êtres ramenés d’outre-tombe. Sans besoins, sans revendications, sans même une voix pour protester, ils incarnaient la parfaite utopie du capitalisme absolu : un travailleur éternellement productif, sans salaire ni repos.

Mais l’histoire nous enseigne que toute oppression finit par engendrer sa propre révolte.

La Conscience des Morts : Naissance d’une Lutte

Jean-Zombi, autrefois maçon, aujourd’hui spectre d’un ouvrier broyé par la machine infernale de l’exploitation, fut le premier à s’insurger. Un soir, au milieu d’un champ de cannes, il prit conscience de son existence aliénée.

— Non mais c’est quoi cette histoire ? Même les esclaves avaient droit à une journée de repos ! Nous, on bosse sans relâche, sans salaire, sans café, sans RIEN ! Je dis STOP !

Ses camarades, ces âmes piégées dans un corps privé de dignité, relevèrent la tête – du moins, ceux qui avaient encore une tête.

— Jean-Zombi a raison ! gronda Ti-Zombi, ancien boutiquier mort de constipation en 1962. Nous ne sommes pas des ressources inépuisables. Nous sommes morts, mais nous existons.

Dans un élan révolutionnaire, ils posèrent leurs outils, un acte de résistance inédit qui marquait la première grève de zombis de l’histoire.

Quand les Damnés de la Terre se Soulèvent

Le lendemain, le village assista à un spectacle que même les plus anciens n’avaient jamais vu : une manifestation de morts-vivants.

Sur la place du marché, des pancartes en feuilles de bananier claquaient au vent, portées par des bras décharnés. Leurs revendications résonnaient comme un cri de justice venu d’outre-tombe :

• Moins de boulot, plus de repos !

• Respect des zombis, respect des morts !

• À quand des congés pour les oubliés ?

Les enfants, amusés par la scène, commencèrent à scander :

— Zombis en colère, faut pas les sous-estimer !

Mais l’ordre établi ne se laisse pas bousculer sans résistance. Ton Narcisse, grand houngan du village, surgit dans un éclat de colère :

— C’est quoi ce tapage ?! Des zombis en révolte ? Vous avez perdu la tête ou quoi ?!

Jean-Zombi s’avança, le regard creux mais la détermination pleine.

— Justement, Ton Narcisse, certains ont perdu la tête à force de trop travailler.

Il désigna Ti-Zombi, dont la tête tenait à peine par un fil.

— Nous voulons un jour de repos hebdomadaire, du café moins fort – car même morts, nous avons des palpitations – et surtout, du respect !

L’Inévitable Concession : Quand les Maîtres Plient

Le pouvoir, confronté à l’insurrection, chercha d’abord à rétablir l’ordre par la menace. Mais une évidence s’imposa : sans zombis, plus rien ne fonctionnait.

— Écoutez, zombis, négocions, mais il faut que vous retourniez aux jardins, sinon c’est la pagaille, soupira Ton Narcisse.

Jean-Zombi, dans un geste qui aurait pu être solennel si son avant-bras n’était pas tombé à terre, croisa ce qui lui restait de bras.

— Pas question ! Tant que nos revendications ne seront pas satisfaites, pas de travail !

Après d’âpres négociations, un accord fut arraché :

1. Un jour de repos hebdomadaire – le samedi, afin que les zombis puissent “se détendre” (selon une interprétation large du terme).

2. Une fête annuelle en leur honneur, avec musique, danse et repas (avec une touche de sel pour éviter les bavements intempestifs).

3. Un meilleur traitement général, incluant le droit de s’asseoir cinq minutes sans être réveillé à coups de fouet.

La Victoire des Oubliés : Un Nouveau Pacte Social

Ainsi, les zombis retournèrent au travail, mais avec le sentiment d’avoir remporté une victoire historique.

Chaque samedi, on pouvait désormais les voir près de la rivière, les pieds dans l’eau, discutant de leurs rêves insensés : un voyage à Port-au-Prince, une visite au Palais National, voire – soyons fous – un bain de soleil à Jacmel.

L’ordre social avait changé. Les morts n’étaient plus des instruments.

Et si jamais un houngan tentait de revenir aux anciennes pratiques, Jean-Zombi n’hésitait pas à rappeler cette leçon gravée dans l’histoire :

— Un zombi fatigué est un zombi qui sait se révolter. À bon entendeur !

 

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