Le Mythe du Garde du Corps Invisible : Quand la Prudence Vaut Mieux que la Fanfaronnade

Dans la grande scène sociale où chacun cherche à s’imposer par la force, l’intelligence ou la ruse, certains choisissent une voie plus… originale. C’était le cas de Lucien, un homme dont la réputation à Port-au-Prince n’était pas due à sa richesse ni à son charisme, mais à un atout bien plus singulier : un garde du corps invisible.

Selon lui, ce protecteur de l’ombre, qu’il appelait Baron Ti Boulé, était un esprit vaudou d’une puissance inégalée. Capable d’écraser n’importe quel adversaire d’un simple souffle spectral, Baron Ti Boulé représentait, aux yeux de Lucien, l’ultime dissuasion contre toute menace.

Mais comme toute illusion soigneusement entretenue, celle-ci allait bientôt se heurter à la dure réalité.

La Faible Énergie du Puissant Baron

Lucien ne manquait jamais une occasion de rappeler l’existence de son gardien invisible. Dans les coins de rue, les marchés, les fêtes populaires, il paradait, son “bâton gaïque” en main – un sceptre qu’il brandissait comme l’extension physique de l’autorité du Baron.

Selon ses dires, son allégeance avec ce puissant Loa avait été scellée lors d’une cérémonie nocturne où un poulet, une bouteille de tafia et quelques cigarettes avaient suffi à convaincre l’esprit de le prendre sous sa protection.

Mais il y avait un léger détail que Lucien omettait dans son récit héroïque : Baron Ti Boulé était paresseux. Extrêmement paresseux.

Chaque fois que Lucien tentait d’invoquer son fidèle protecteur dans une situation critique, il n’obtenait en réponse qu’un long bâillement éthéré :

— Garçon Lucien… Je suis fatigué. Laisse-moi dormir un peu… et toi aussi, tu devrais te reposer.

Un garde du corps qui dormait plus qu’il ne combattait… Pourtant, Lucien persistait à s’appuyer sur cette force invisible pour intimider les autres, comptant davantage sur la peur du surnaturel que sur sa propre prudence.

Mais tôt ou tard, les illusions finissent toujours par s’effondrer.

Le Jour où le Baron a (encore) Dormi

Un après-midi de marché, Lucien, comme à son habitude, déambulait d’un pas fier parmi les étals, savourant le respect que lui accordait la rumeur de son “puissant protecteur”.

Sauf qu’en marchant distraitement, il posa son pied en plein sur les marchandises de Jean-Claude, un colosse au tempérament aussi instable qu’un volcan en activité.

— Hé, toi là ! Qui t’a permis d’écraser mes produits comme ça ?! tonna Jean-Claude, poing levé.

Lucien, imperturbable, fit un pas en arrière et leva son bâton avec confiance :

— Ti Boulé, montre à cet insolent ce qui arrive à ceux qui me manquent de respect !

Les commerçants s’arrêtèrent net, formant un cercle autour des deux hommes, curieux de voir la puissance légendaire du Baron à l’œuvre.

Le silence s’installa. Lucien attendit. Encore et encore. Toujours rien. Puis, dans le vide sonore, un faible ronflement résonna. Baron Ti Boulé était en pleine sieste.

Lucien paniqua.

— Réveille-toi, paresseux ! Tu ne vois pas que je suis en danger ?! cria-t-il d’une voix désespérée.

Mais il n’y eut pas de tonnerre mystique, pas d’ouragan spectral, pas même un léger coup de vent.

Jean-Claude, d’abord furieux, éclata finalement de rire.

— Pauvre fou ! La prochaine fois, évite de marcher sur mes affaires… et sur tes propres mensonges.

Lucien baissa la tête tandis que la foule se dispersait en chuchotant. Son secret était éventé.

L’Heure de la Réalisation

Les événements de ce jour ne furent pas un cas isolé. À chaque altercation, Baron Ti Boulé brillait par son absence.

Excédé de voir son mythe s’écrouler, Lucien prit une décision radicale : il se rendit sous un grand manguier, lieu de son pacte initial, pour exiger des explications.

Après avoir posé les mêmes offrandes qu’à l’origine – un poulet, du clairin, une pochette de cigarettes –, il attendit.

Un petit tourbillon s’éleva, et dans une apparition aussi floue que nonchalante, Baron Ti Boulé daigna enfin se montrer.

— Garçon Lucien… qu’est-ce que tu veux ? bâilla l’esprit.

— Pourquoi ne m’aides-tu jamais quand j’en ai besoin ? Je croyais que tu étais mon garde du corps ! s’exclama Lucien, hors de lui.

Baron Ti Boulé le fixa, mi-amusé, mi-perplexe.

— Mon cher Lucien… Je ne suis pas un guerrier. Je suis un Baron du sommeil et de la paresse ! Je protège, oui… mais seulement quand ce n’est pas trop fatigant.

Un silence stupéfait suivit cette révélation.

Lucien comprit alors l’évidence : il avait mis sa foi dans un protecteur qui n’avait jamais eu l’intention de protéger.

Leçons d’une Erreur

Dès lors, Lucien changea radicalement.

Il cessa de se vanter de son prétendu garde du corps, arrêta d’intimider les autres et surtout, apprit à gérer ses problèmes par lui-même.

Les habitants de Port-au-Prince ne tardèrent pas à remarquer ce changement. Fini le Lucien arrogant et provocateur. Désormais, il évitait les conflits, réfléchissait avant d’agir et, surtout, ne comptait plus sur une force imaginaire pour asseoir son autorité.

Quant à Baron Ti Boulé, il continua à dormir sous le manguier, savourant son éternel repos.

Lucien réalisa qu’il n’avait jamais eu besoin d’un garde du corps invisible. Il lui suffisait de garder la tête haute, d’agir avec sagesse et – surtout – de faire attention où il mettait les pieds.

Moralité : La Véritable Force ne se Voit Pas

Lucien nous enseigne une leçon essentielle : l’autorité ne se construit pas sur la peur et la force brute, mais sur le respect et l’intelligence.

Tôt ou tard, ceux qui s’appuient sur la ruse, l’intimidation ou la violence finissent par être exposés pour ce qu’ils sont : des imposteurs.

La vraie puissance, elle, n’a pas besoin d’être criée sur tous les toits. Elle réside dans la sagesse, l’humilité et la capacité à gérer les conflits sans violence.

Car après tout, comme l’a appris Lucien à ses dépens…

Un protecteur fantôme ne protège personne.

#BaronTiBoulé #LeçonDeVie #HumourCréole #MichelleLatortue

Publications similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *